STAGE les 1er et 2 juin 2024 // Dancefloor du Verger // Mollans-sur-Ouvèze // Drôme

MOUVEMENT AUTHENTIQUE ET

THÉÂTRE PHYSIQUE


DESCRIPTION DU STAGE

Au cours de deux journées au grand air, sur la plateforme du Dancefloor du Verger, je vous inviterai à jouer et à être joué.e.s. A voir et à être vu.e. A communiquer et à recevoir le geste. Du corps individuel, nous nous dirigerons tant par le théâtre physique que par le Mouvement Authentique vers un corps collectif. La mobilisation de ces deux disciplines ouvrira, plus largement, un champ d'investigation sur ce que nous comprenons de l'intentionnel et de l'attentionnel.

Nous nous échaufferons via des pratiques somatiques qui nous éveillent à nos différents espaces intérieurs : espaces de tension, d'extension, de liquéfaction, de force, de repli, de volonté, etc. Nous le ferons en regard des systèmes du corps : système squelettique, musculaire, sensoriel, digestif, cardio-vasculaire, etc. Ces matières du corps et leurs potentiels seront donc nos premiers outils. Ensuite, nous les mettrons à l'épreuve des paramètres de la danse (flux, gravité, espace, temps). Nous en observerons les émergences symboliques. En cela, nous deviendrons, comme le disait Pina Bausch "responsables", l'histoire étant de savoir avec quoi nous venons, d'où nous venons et ce que nous avons laissé en chemin.

Chaque exploration collective pourra être vécue comme une performance, à vivre de l'intérieur ou sur ses franges, en tant que témoins. La chronologie des propositions, la gradations des enjeux et mises en situation nous porteront à monter collectivement en conscience. Le processus vise d'embrasser cette "responsabilité" au coeur de l'improvisation.

Puis nous nous créerons des bulles. Des instants d'intimité avec soi puis avec un partenaire témoin. Des instants où il n'y a aucune intention esthétique, aucune préécriture. Des instants sans partition. Puis nous inverserons les rôles entrer danseureuseuses et témoins. Dans nos échanges verbaux, nous apprendrons à décrire le mouvement, à communiquer ce qui, dans le mouvement de l'autre, parvient à nos sens. En mobilisant les fondamentaux de la discipline du Mouvement Authentique, nous nous en tiendrons à ce qui est présent et ici. Un exercice particulièrement profond qui révèle à soi et à l'autre la danse comme un événement de l'intime et une œuvre en soi.

PRATIQUE

  • Lieu : Dancefloor du Verger, 26170 Mollans-sur-Ouvèze . Pour les facilité d'accès et découvrir le lieu de travail, c'est ici
  • Prix : 100€ Si ce tarif pose un souci et que la motivation est pleinement là, joignez-moi! // 60€ pour une seule journée
  • Hébergement: Camping les Castors à Pierrelongue ou à votre convenance, collectivement ou individuellement, dans les offres alentours en gîtes et airbnb...
  • Prévoir deux litres d'eau (pas d'eau sur le verger!) + une bonne paire de chaussettes



LE MOUVEMENT AUTHENTIQUE EN QUELQUES MOTS

"Quand un mouvement, aussi limité ou fragmentaire fût-il, était simple et inéluctable, qu'il n'appelait aucun changement, il devenait ce que j'appelais "authentique". Il pouvait être reconnu comme sincère, appartenant en propre à la personne"

- Mary Starks Whitehouse.


Avec le développement de la Discipline du Mouvement Authentique, Janet Adler était mon inspiratrice la plus profonde pour renforcer ma pédagogie du mouvement spontané et de la composition singulière en danse. Il est tout naturel pour moi de donner pleinement sa place à cette discipline au sein de nos ateliers de Théâtre physique.

Le travail de Janet Adler a permis à d'innombrables danseurs amateurs, professionnels ou non-danseurs de plonger dans la part obscure de leur psyché via le mouvement spontané et d'en tirer à la fois de la conscience, de la compassion mais aussi de la créativité. À la fois pratique de guérison et méthode artistique, le Mouvement Authentique est très peu, trop peu répandu dans nos contrées. Pourtant ses apports sont incommensurables.

Son dispositif principal repose sur la relation entre une personne en mouvement, les yeux fermés et une personne témoin du mouvement, assise en retrait de l'espace investi par la personne en mouvement. Par la suite, les rôles sont inversés. Chacune expérimente donc la situation de visibilité et réception. La discipline du Mouvement Authentique a cela de particulier que ces deux modes de conscience, "je suis visible" et "je suis réception", passe d'un corps à l'autre.

Progressivement, les partenaires apprennent à échanger sur ce que chacune a vécu en tant que "mouveureuse" ou témoin. Le mode de communication entre elles est épuré de tout jugement, analyse ou projection. Chacune, disposant d'un temps de parole égal, partage ce dont elle se souvient: quels mouvements, à quel moment, à quel endroit dans l'espace, à quelle vitesse, quels niveaux par rapport au ciel ou à la terre, quelles parties du corps engagées, etc. D'abord la personne qui a "dansé", puis la personne témoin.

Le dispositif s'affine au fur et à mesure des séances et un "témoin intérieur se crée progressivement dans la conscience de la personne lorsqu'elle est en mouvement devant son temoin extérieur. Inversement, lorsqu'il s'agit d'être le témoin de la "danse", la personne accède à ce qui est mu en elle. C'est le développement de ce que j'appelle la "danseureuse intérieure".

Pour nombreux d'entre-nous, se mouvoir spontanément est impossible ou conditionné par des habitudes culturelles qui cadrent et réglementent nos corps. La discipline du Mouvement Authentique fut le point de départ de ce déconditionnement. Je le mobilise dans mes initiations au théâtre physique et dans l'accompagnement personnel pour celleux qui désirent cheminer vers leur univers singulier.

La méthode du Mouvement Authentique est une révolution dans le partage de la danse et l'art de la contemplation. Elle permet au danseur de se vivre de manière complète, en affinant sa propre conscience du mouvement. Elle participe d'une meilleure compréhension de cet art, parfois perçu comme élitiste, de la danse contemporaine. Elle met sur un même pied d'égalité, par la pratique de l'authenticité, tous les danseurs en présence.

Les sessions de Mouvement Authentique existent aussi sous forme individuelle. Si c'est cette dernière que vous recherchez, voici la page dédiée.

UNE PÉDAGOGIE ENTRE PRATIQUES SOMATIQUES ET PERFORMATIVES


SÉANCE 1# AUTOMNE 2020

Le premier atelier a accueilli 4 participants âgés entre 35 et 66 ans, un homme et trois femmes. La première chose qui m'a marquée était qu'un si petit nombre de danseurs débutants puisse habiter l'espace tout entier avec un engagement complet dans l'expérience proposée. Une certaine grâce (en étaient-ils conscients?) émanait de leur concentration et de leur réceptivité à cette forme particulière de l'enseignement de l'étude du mouvement individuel et collectif. Pendant trois heures, l'espace fut nourri de leurs déplacements, de leurs explorations et de leur contagieuse joie de composer ensemble. Cette occupation totale de l'espace-temps de 4 personnes montre que le lien est un acteur en soi, complexe, fluctuant et multidirectionnel. La qualité de ce lien a introduit dans la salle de danse des présences supplémentaires à celles des corps. Quelque chose était palpable dans l'air.

MÉTHODE

La séance s'est déroulée en flux continu hormis un bref moment de précision théorique anatomique - il est vrai que nous observions aussi le lien à l'intérieur du corps. J'avais, à cette première occasion, opté pour un focus sur le mouvement distal et les ligaments. Comme la pédagogie est inductive, nous sommes partis de l'exploration pour, ensuite, lors de ce bref moment théorique, se saisir de quelques notions sur les ligaments qui allaient engager une nouvelle exploration, plus approfondie... débouchant sur de premiers solos marqués par l'esprit chorégraphique des ligaments. Cela a l'air un peu ésotérique mais l'écoute profonde de parties précises du corps permet au danseur de saisir les potentiels du mouvement et donc d'accroître son vocabulaire. Il existe donc une tension fondamentale à l'apprentissage de l'improvisation où l'ultra focalisation sur un détail du corps ou l'instauration d'une règle de composition permet de nuancer, de densifier et de nourrir le langage spontané du corps dansant. Cette pratique de l'écoute du corps est dite "somatique" : les cellules du corps informent celles du cerveau et inversement. C'est une façon d'éveiller la conscience corporelle. Quant à l'éveil de l'espace-temps du danseur et du groupe entier, je pause des règles simples : points de départ ou petits défis. Ceux-ci sont tirés de mes expériences auprès d'enseignants en improvisation théâtrale, de chorégraphes, dont David Hernandez à P.A.R.T.S (Bruxelles) et, enfin, de la sociologie, science des dispositifs humains.

Dans notre atelier, nous ne faisons donc pas appel aux images ou aux narrations... le mental est laissé en veille au profit des sens et de l'art de jouer, de composer avec autrui dans un cadre donné.  Sans rien ajouter à ce qui est déjà là, les ateliers proposent une pratique de l'attention à soi et à autrui par l'exploitation des potentiels corporels et spatio-temporels... ce qui en fait à la fois un espace pour une discipline contemporaine de part son épure et sa réflexivité mais aussi un espace de pleine conscience sur les relations humaines.

Aborder le lien de cette manière pragmatique, en jouant à partir d'une focalisation anatomique et de règles précises, est une voie permettant aux danseurs improvisateurs débutants d'apprécier ce qui se tisse dans une improvisation individuelle ou collective. La liberté du danseur est alors vécue dans l'art de composer et de "faire avec".  C'est là que le corps devient pensant, sans interférence du mental, jouant des géométries intérieures et relationnelles, s'observant lui-même et le tout comme un acte chorégraphique.


DÉROULÉ

L'atelier a démarré avec une courte méditation, le corps allongé au sol. Une méditation partant d'une question volontairement vague et polysémique: "Qu'est-ce qui, aujourd'hui, dans mon corps, est lié?". Puis, une seconde question "Qu'est-ce qui, aujourd'hui, dans mon corps, est délié?". Laisser planer la question par-dessus le corps... puis laisser glisser la question à travers le corps. Peut-être, si cela est clair, poser la main sur une zone du corps qui répond à la première question... puis poser la main sur une zone du corps qui répond à la seconde question. C'est un moment de profonde acceptation, sans jugement, sans vouloir changer quoique ce soit à soi-même. Les observations personnelles sont gardées secrètes.... bien que chaque participant est libre de communiquer à ce sujet lors du cercle de partage.

De cette méditation, le corps va progressivement se mettre en mouvement à partir du bout des doigts. Seules ces parties sont en mouvement. Puis comme un réveil progressif, en maintenant le bout des doigts comme initiateur du mouvement, telles des têtes chercheuses ou des antennes, le mouvement va se propager du bout des doigts à la main, au poignet, à l'avant-bras.. jusqu'à la colonne vertébrale. Vus de l'extérieur, les bras semblent se transformer en serpents; mais, dans leurs grandes ondulations ou leurs secousses, les bras emportent la clavicule et le haut du dos. Tracté vers le haut, appelé à s'asseoir ou à s'élever, le corps s'organise d'une façon nouvelle car le but est bien de continuer à propager le mouvement tout en gardant les doigts comme initiateurs du mouvement. Témoin de ce moment critique, j'interroge dans ma guidance les danseurs: "Comment le corps s'organise-t-il pour soutenir l'initiation du mouvement? Et pour soutenir la propagation du mouvement? Est-ce que le corps soutient ou suit?"

En introduisant le double concept de Suivre/Soutenir dans l'expérience individuelle, démarre notre longue exploration du Lien qui s'éprouvera aussi, les ateliers suivants, dans l'interaction entre danseurs. En d'autres termes, ce qui sera exploré, c'est le passage de "Comment mon corps suit/soutient une intention?" à  "Comment mon mouvement suit/soutient ce qui se construit entre nous?" Enfin, nous verrons les paradoxes du Suivre/Soutenir, à l'intérieur du corps et en interaction, en goûtant aux différentes situations : l'abdication, le désengagement, l'abandon ou simplement le retrait, le lâcher-prise qui sont d'autres manifestations du Lien.

Les danseurs sont debout, assis ou encore couchés... mais en mouvement total, guidés par leurs doigts et assurés par leurs pieds. C'est le moment idéal pour redémarrer le processus avec les extrémités des orteils. Sans brûler les étapes. Le mouvement se propage le long des jambes et atteint le bassin. Et là, de nouveau le Suivre/Soutenir opère. Une participante rapportera en fin de séance à ce sujet qu'elle avait pu permettre à son bassin de mieux s'organiser par rapport à l'orientation de ses pieds au sol. Son corps s'était adapté de manière surprenante et nouvelle sans se déséquilibrer. Aussi, ce que j'ai pu observer durant cette séquence était l'ouverture progressive du corps. Enfin, l'expérience se termine par un jeu d'alternance entre initiation du mouvement par les doigts et par les orteils. Moi-même expérimentant avec les danseurs cette danse étrange, je me sens soudain l'envie de lancer un appel vital : Connectez les mouvements de vos membres à votre centre! Le centre dont il est question se situe entre le pubis et le nombril, lieu connu aussi sous le nom de Tantien, centre de gravité et d'énergie. Et, de là, nous avons "respiré nos mouvements" de l'extrémité de nous-mêmes à notre centre, élargissant encore plus l'amplitude de nos mouvements et déplacements.

Intervient alors une petite pause théorique en cercle où je pose le terme "distal" et refais quelques mouvements distaux sans grandes explications: initiés à partir des extrémités du corps. [Le dimanche 4 octobre, nous étudierons le mouvement proximal, généré à partir des zones les plus proches du centre du corps]. Ensuite, ce fut au tour des ligaments de prendre place dans le cercle. A quoi servent-ils? Que nous apprennent-ils sur notre mobilité et nous-mêmes? Que font-ils avec les os et les muscles? Et les organes? Comment nous les apprécions-nous dans notre danse?

"Les ligaments déterminent les limites du mouvements entre les os en maintenant les os ensemble. Ils guident les réponses musculaires en déterminant le passage du mouvement entre les os, et ils maintiennent les organes dans les cavités thoracique et abdominale.Ce système procure spécificité, clarté et efficacité en ce qui concerne l'alignement et le mouvement des os et des organes. C'est par l'esprit des ligaments que nous percevons et que nous exprimons notre clarté d'intention et notre attention au détail"Bonnie B. COHEN, "Sentir, Ressentir et agir" (2016), Ed. Contredanse, Bruxelles.


Forts de cette mise en lumière de "l'esprit des ligaments", nous avons exploré individuellement cette notion de limite, de précision, de soutien des os. Chacun s'est focalisé sur un groupe de ligaments bien localisés: ceux du poignet, du genou, de l'emboîtement du fémur droit dans l'os iliaque, la première vertèbre cervicale, etc. Première action: Induire une intention particulière sur cette zone choisie, produire un mouvement minuscule ou immense, étirer au maximum, jouer avec les amplitudes, le rythme. Deuxième action: placer son attention dans ces intentions et laisser le corps réagir. Cette ultrafocalisation amène un mouvement, localisé ou global. Quelque chose émerge. Troisième action: jouer avec cette danse émergente... puis revenir à la focalisation minutieuse du laborantin, et répéter l'opération. Nous nous retrouvions donc chacun dans notre propre sphère de mouvement à "essayer quelque chose avec quelque chose de nous". En fin d'exploration individuelle, chacun a présenté un solo sur base de son expérience. Lors de nos échanges, une participante observait : "on arrive à un point où le corps se déséquilibre et reprend son équilibre dans une nouvelle position, une nouvelle direction et une nouvelle qualité de mouvement. La danse du lien intérieur est peut-être cela : un dialogue sur les limites des liens entre les différentes parties du corps, déplaçant ainsi le centre de gravité dans l'espace.

Dans l'étape suivante, le groupe s'est divisé en duos. Un partenaire était soliste face à un partenaire témoin de la danse solo. Le danseur s'offre une danse pour lui-même mais sait qu'elle est aussi reçue par le témoin. Le témoin ne cherche pas à interpréter ni comprendre. Il laisse les éléments de la danse venir à ses sens et observe en lui-même les effets produits par cette contemplation. Son attention se porte sur la réception. Une fois le solo accompli, le duo s’assoit face à face. Chacun va prendre la parole pendant 2 minutes. Le danseur décrit sa danse. Le témoin décrit ce qu'il a vu. Pas d'images, pas de jugement personnel pas de projections émotionnelles. Juste le mouvement décrit par les parties du corps engagées, la durée, l'espace, l'amplitude, le rythme, la forme, la direction, la posture du corps, etc. Les faits, rien que les faits, selon la mémoire de chacun. Peu importe l'exactitude, l'important est de ressortir de sa mémoire ce que le corps a produit dans la danse ou a reçu lors de la contemplation.  Un deuxième dialogue laissera ensuite libre court aux sensations et états personnels du danseur, puis du témoin. De nouveau, sans interprétation, sans expliquer, sans analyser, sans juger. L'exercice est particulièrement exigeant. Il est fondamental d'une pratique qui interviendra souvent dans nos ateliers : le Mouvement Authentique. Nous nous inspirons de la méthode de Janet Adler en opérant une insistance sur la distinction entre "ce que j'ai vu" et "ce que j'ai ressenti" afin que le registre émotionnel (porte ouverte aux projections et jugement) soit post-posé et pesé dans un cadre bien énoncé auparavant. Pour des danseurs découvrant cette méthode c'est un vrai challenge : danser sans se juger et échanger sans jugement. Danser librement mais en face de quelqu'un. Danser librement puis tenter de se souvenir de ce qui s'est passé dans cette danse... Autant de défis pour une danse pleinement consciente posée dans une relation humaine qui dépasse le cadre simplement artistique pour embrasser des abîmes ou des atmosphères parfois indicibles. Cette première expérience de Mouvement Authentique dans le cadre de cet atelier m'a poussée à phaser la découverte de la pratique afin que chaque dimension et enjeu du Mouvement Authentique puisse être incorporé par les danseurs.

Enfin, nous avons passé la dernière demi-heure dans un long Round Robin... ou cercle d'improvisation. Au centre du cercle, deux danseurs maximum. L'entrée dans le cercle demande au danseur d'entrer en écho avec le solo déjà en place. Un temps de duo est autorisé mais pas trop longtemps afin que le nouveau arrivant explore son propre solo. Pendant ce temps, le cercle de témoins de la danse reste actif, en mouvement, se déplace pour observer la danse sous différents angles. C'est une façon d'opérer avec la spatialisation du solo ou du duo qui ouvrira, dans les prochains ateliers, la voie à la composition spatiale, véritable outil chorégraphique également accessible à des danseurs improvisateurs débutants.

Ainsi de suite, les danseurs se sont succédés au centre dans un esprit de jeu. La musique était présente. C'est pourquoi j'ai pris soin de demander à chacun de choisir, dans leur danse, ce qu'ils faisaient de cette présence sonore : la suivre, la contre-carrer, ne pas s'en soucier, l'amplifier, la diminuer, etc... Autant de rapport à l'environnement sonore et musical qui seront étudié tout au long des ateliers suivants. Sans entrer dans de grandes exigences, nous nous sommes offert une demi-heure de joie, de sensibilité et de découvertes.

Durant les dernières 10 minutes, j'ai autorisé trois personnes dans le cercle mais ai demandé une rotation plus rapide des interventions. La tension est montée, l'excitation aussi... Cette énergie m'autorisa d'exhorter le groupe de danseurs: "Casse les règles, casse le mouvement, casse le cercle, garde le lien!" Sans plus aucune consigne ou contrainte, nous avons tous dansé, tous composé en étant reliés. Puis il a fallu trouver une fin vers une quasi-immobilité. Ce chemin prend un certain temps et c'est plutôt appréciable de se donner ce temps pour observer les reconfiguration internes et externes de la danse. Une fois la fin trouvée, certains danseurs étaient en contact, d'autres un peu plus à l'écart, mais tellement là. Respirer cette fin, maintenir notre position finale tout en regardant où se situe chacun, laisser nos joues se détendre et nos regards s'adoucir et tomber dans celui de chaque partenaire. Puis, projeter nos regards dans les espaces vides autour de nous, vers d'autres danseurs, invisibles. Enfin, dans un dernier mouvement collectif alors que nous maintenions notre quasi-immobilité mais que nos yeux lançaient des lignes de consciences tout horizon, nous avons jeter nos regards par-delà les murs de la salle, vers les rues de Nyons, ses montagnes, ses habitants et vers la planète entière. Chaque danseur a refermé les yeux et dans un inspir, s'est retiré de sa position finale pour transiter vers un cercle d'échanges et de clôture.

RÉCAPITULONS

Temps d'accueil

Le groupe se déplace dans l'espace et en prend connaissance avant de se trouver une place pour s'allonger au sol.

Première expérience : Méditation d'ouverture

Deuxième expérience: Réveil du corps à partir du bout des doigts. Mouvement distal des membres supérieurs et entraînement du corps qui suit/soutient. Idem mais avec les orteils comme initiateurs du mouvement. Alternance des mouvements distaux des membres supérieurs et inférieurs. Libre composition.

Pause théorique : mouvement distal / introduction aux ligaments

Laboratoire autour des ligaments. Création d'un premier solo offert au groupe.

Initiation au Mouvement Authentique

Round Robin


SÉANCE 2# AUTOMNE 2020

Sept personnes ont rejoint l'atelier pour cette deuxième séance. Sept femmes, âgées entre 40 et 70 ans. Je suis la plus jeune. Comment tenir compte des dimensions de genre et de génération dans la pratique qui nous occupe ici? Quelles attentes et routines sont automatiquement, inconsciemment, à l’œuvre dans mon attitude et mes attentions en tant qu’enseignante ? Quelles surprises et invitations vont bousculer mes habitudes de penser le genre et l’âge ? La non-mixité sexuée et la diversité des âges aiguisent mes sens autrement. La clarté à ce propos viendra plus tard. Essayons de retracer d’abord cet atelier!

Le cercle d’accueil s’ouvre sur un tour des prénoms et de la météo personnelle. Celle-ci me permet d’ajuster si nécessaire le programme du jour. Elle permet à chacune d’être reçue telle quelle.

DÉROULÉ

Sans quitter notre cercle d’accueil, je propose à chacune d’écouter silencieusement, en elle-même, le tintement du mot « Lien ». Quels mots vous viennent ? C’est un jeu de champ lexical où chacune va émettre un mot ou deux ou trois…

Voici ce qui, ce jour-là est ressorti du cercle :

o   Le lien intérieur et extérieur

o   Renouer

o   Le lien organique 

o   L’humanité

o   La connexion

o   L’interaction

o   Les fluctuations

o   Le contact

o   Allez vers

o   Boundaries (NDLR : les limites, les frontières)

o   Avec Moi Les Autres !

o   Sans lien

Les mots sont posés, sans explication personnelle ou justification. Ils sont reçus au centre du cercle. Au vu de la plénitude et de l’autonomie des mots, je décide de ne pas nous engager dans la méditation rituelle de la première séance. Laissons résonner cela. Nous nous étirons simplement au sol, comme dans notre lit, un dimanche matin. Ça tombe bien, on est dimanche.  

Après moult bâillements bien assumés et roulades au sol en étoiles de mer, nous regagnons l’immobilité, toujours allongées au sol. Ce qui suit va durer une heure (lorsque la conscience rassemble toutes les parties du Soi et s’ouvre à l’inconnu, le temps est tout relatif !).

Des extrémités du corps jusqu’à son centre, j’invite chacune à déposer au sol chaque partie d’elle-même, chaque segment, os, muscle, nerf, organe, liquide, cellule… abandonner tout cela à la gravité terrestre. Nous prenons soin de le faire, au point que le corps perçu par les sens semble désassemblé : toutes les articulations, ligaments et tendons ne répondent plus de rien. Plus aucun mouvement n’est alors possible. Nous restons présentes à ce déliement intense. Nous ne nous effondrons pas pour autant : nous sommes juste, temporairement, dans l’abandon de toute intention de mouvement. « Stillness », dit-on en anglais dans la culture de la danse post-moderne.

Dans le calme du ventre, une petite lueur s’allume dans le Tantien. Comme un premier souffle, une émergence. J’invite par cette image à passer de la visualisation à la sensation-même d’un Tantien qui s’éveille et s’apprête à jouer un rôle important pour le reste du corps. Il va communiquer la possibilité de relier les différentes parties du corps à engager dans le mouvement… sans produire un mouvement réel mais juste une sensation de possibilité de mouvement, une motilité. Sentir cela comme un potentiel, dans diverses directions autour du Tantien est déjà un solo de danse pour chacune à l’échelle de l’intime intention. Le centre du corps, activé et conscient, devient l’émetteur de vecteurs. Son souffle ou son rayonnement sont l’énergie portée par ces vecteurs. Les articulations et entremêlements de tissus divers sont associés, réassemblés à partir de la communication du Tantien. Se recomposer en sentant vecteurs et énergies offre à l’intelligence corporelle de nouveaux chemins et rafraîchit les autoroutes habituelles de la volonté de mouvement. Enfin, des mouvements peuvent se produire. La motilité est alors traduite en mobilité. Je vois les danseuses se donner du temps pour sentir cela. Certaines semblent encore immobiles mais je sens leur attention. Quelque chose est en marche en elles et réassemble ce qui a été désassemblé. J’aimerais introduire la proposition de Nita Little sur la conscience de ce qui s’assemble et se désassemble dans le mouvement. Mais, à l’heure actuelle, je préfère encore ici prendre mon temps avec cette première exploration en focalisant l’attention sur le réassemblage, car, il est vrai, nous venons de loin : nous étions toutes désassemblées ! Se concentrer uniquement sur ce qui se reconstruit après un long processus de déconstruction est un premier stade important que je ne voudrais pas compliquer pour l’instant même s’il existe toujours, dans tout mouvement, des parts de soi qui se délient pour que d’autres se lient, et inversement.

Allongées au sol, les mouvements se succèdent les uns après les autres. Toujours à partir du Tantien. Ce sont des mouvements proximaux, proches du centre et reliés à lui par lui. Certaines danseuses s’élèvent sur leurs genoux ou leurs pieds. Apprécier les mouvements proximaux en faisant varier les points d’appui au sol pourrait constituer en soi tout un travail de composition !

Pour goûter à l’art du contraste dans l’initiation du mouvement, j’invite les danseuses à verser leur attention sur les extrémités du corps en leur donnant, à présent, un rôle de guides. Des mouvements distaux apparaissent. Mains en forme de fusée, pieds chercheurs. Des extrémités capables d’emporter dans leur course tout le reste du corps. 

Variant entre mouvements proximaux et distaux, je leur fais noter qu’elles occupent un espace unique et généreux : la kinesphère. Il s’agit d’une référence à Rudolph Laban, théoricien du mouvement, entre autres. Peu importe la connaissance théorique ou pas de ce terme, ce qui compte ici c’est de conscientiser cette sphère autour de soi qui ouvre vers toutes les directions. Cette sphère semble apparaître plus clairement chez certaines danseuses qui prennent un certain plaisir ou, du moins, une curiosité, à explorer leur liberté, confortablement à l’intérieur de cette sphère. Les mouvements distaux caressent l’intérieur de cette sphère.
Curieusement, toutes se retrouvent assignées à un point précis de l’espace de la salle de danse, comme si le mouvement ne pouvait avoir lieu qu’à l’intérieur d’une sphère immobile. Je me permets alors de les inviter à continuer à se mouvoir dans cette sphère tout en acceptant que celle-ci se déplace dans un espace plus grand, habité des kinesphères des autres danseuses. Je me retrouve en plein cosmos où les danseuses se mettent à tournoyer lentement, prudemment, à la façon diplomatique des trajectoires des planètes de notre système solaire.

Les sphères sont toutes à présent tangibles, conscientisées à partir des mouvements qu’elles autorisent à l’intérieur mais aussi, projetées dans l’espace, en dehors d’elles-mêmes. Certaines sphères semblent se frôler les unes les autres, provoquant de nouveaux tournoiements. L’instant me semble propice à envisager un rapprochement. J’invite chaque sphère à se toucher. Cela ne signifie pas le toucher entre les corps, mais le maintien d’un espace sensible, dynamique et déjà tactile entre ces corps dansants. C’est un moment, je l’avoue, en tant que témoin de ces danses, qui m’émeut toujours. Il est fébrile, intelligent et plein d’instinct. Cette distance est une forme de contact avant le contact. Les sphères de chacune deviennent de plus en plus perméables les unes aux autres. A l’instant où un point de contact clair sonne le glas de l’individualisme des sphères personnelles, un espace plus grand est créé. Celui mû par la rencontre tactile. Du point de contact, partagé au sein de chaque duo, rayonne un nouveau champ d’expansion, une nouvelle sphère. L’enjeu est alors de maintenir son propre espace tout en versant son attention dans le point de contact. « Je suis avec toi, avec moi » devient nous collaborons à une tierce entité, un nouveau corps dansant. Cette perspective n’est pas évidente quand on la découvre pour la première fois. Mon soutien va donc juste rappeler à chacune de sentir comment, à partir de ce point de contact, lui aussi en mouvement entre les corps, il est possible de se déployer, telle une fleur qui s’ouvre vers l’univers. Un lien entre deux êtres peut être l’opportunité d’un épanouissement. Ce moment de mouvement partagé et induit par le contact en rend très bien compte.


Enfin, vient le moment pour moi d’appeler chaque entité double, chaque duo à se séparer le plus doucement possible, en reprenant à l’intérieur de soi le poids, l’intention et l’attention. Ce transfert inverse, revenant vers le soi, permet, une dernière fois de sentir l’espace tactile alors que la distance s’accroît entre les corps. Certaines ressentent encore une sorte d’empreinte. A aucun moment, les personnes ne se quittent vraiment. Elles sont, juste à présent, sans contact gravitationnel, mais toujours habitantes d’une sphère des possibles qui nous embrassent toutes dans cette salle et peut-être au-delà de cette salle.